Le Var, situé au cœur de la Provence, a toujours été une terre de contrastes. Ses paysages variés – des plaines fertiles aux montagnes escarpées, en passant par les forêts denses – ont joué un rôle clé dans le développement de l’agriculture au fil des siècles. Depuis l’occupation romaine jusqu’à aujourd’hui, l’agriculture varoise a traversé des cycles de défrichement et de reboisement, tout en s’adaptant aux besoins de la population et aux changements climatiques et économiques.
L’Époque Romaine : la domestication des terres provençales
Au IIe siècle avant J.-C., lorsque les Romains intègrent la Provence dans leur empire, ils transforment radicalement l’agriculture locale. Le Var, alors connu sous le nom de “Provincia Romana”, devient une terre prospère grâce aux villæ romaines (grandes exploitations agricoles) établies dans les vallées fertiles, notamment autour de Fréjus (Forum Julii), un port majeur de l’Empire, et de Toulon (Telo Martius). Ces domaines agricoles sont spécialisés dans la triade méditerranéenne : vigne, olivier et céréales. Les Romains introduisent également de nouvelles techniques de drainage et d’irrigation, notamment à travers la construction d’aqueducs, comme celui de Mons, près de Fayence, qui alimentait Fréjus en eau.
Sous l’Empire romain, les forêts varoises reculent de manière significative, notamment autour de Fréjus et dans la plaine de la Vallée du Gapeau, près d’Hyères. Les terres sont défrichées pour l’agriculture, les arbres étant utilisés pour la construction de navires et de bâtiments, ainsi que pour le chauffage. Les collines et vallées fertiles sont plantées de vignes et d’oliviers, qui, encore aujourd’hui, témoignent de cet héritage dans des villages comme Le Luc et La Londe-les-Maures.
Le Moyen Âge : repli et reboisement progressif
Après la chute de l’Empire romain au Ve siècle, la Provence traverse une période troublée, marquée par des invasions successives (Wisigoths, Burgondes, puis Sarrasins) qui affectent l’agriculture. Dans le Var, de nombreuses terres agricoles sont abandonnées, notamment dans les zones de moyenne montagne et les plateaux reculés comme celui de Valensole. Cette instabilité politique et démographique entraîne un recul significatif de l’agriculture, sauf dans certaines zones abritées, comme les plaines autour de Brignoles ou de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, qui restent des pôles agricoles grâce à la production de céréales et d’olives.
Le Moyen Âge voit une nette avancée des forêts, notamment dans les zones montagneuses du Haut-Var, comme dans les massifs des Maures et de l’Estérel. Les forêts de chênes, de pins et d’autres essences méditerranéennes reprennent progressivement le contrôle des terres délaissées, laissant la nature dominer là où l’homme avait cultivé des champs. Le pastoralisme, avec l’élevage de moutons, devient une activité dominante dans ces régions reculées, ralentissant l’expansion forestière dans certaines zones.
Cependant, à partir du Xe siècle, les abbayes et monastères jouent un rôle essentiel dans la réorganisation de l’agriculture. Les moines cisterciens, par exemple, développent l’irrigation et relancent les cultures dans certaines vallées du Var, comme au Thoronet, où l’Abbaye du Thoronet devient un centre d’innovation agricole et d’irrigation.
La renaissance et l’époque moderne : l’âge d’or de la viticulture et des oliviers
Avec la Renaissance et l’époque moderne, le Var entre dans une période de forte croissance agricole. Les défrichements reprennent, notamment dans les plaines de Draguignan, où la vigne et l’olivier se développent. À cette époque, le vin de Provence gagne en renommée, notamment dans des villes comme Bandol, où les vignobles prospèrent sous un climat ensoleillé. Le vin de Bandol, avec ses cépages typiques (mourvèdre, grenache), devient un produit phare de la région, encore apprécié de nos jours.
Au XVIIe et XVIIIe siècles, le recul des forêts continue, surtout dans les basses terres et les collines autour de Toulon et Brignoles. Les oliveraies, en particulier, se multiplient sur les pentes ensoleillées du Haut-Var, dans des villages comme Flayosc, Lorgues, et Cotignac. L’huile d’olive devient un produit incontournable de la Provence, exportée vers d’autres régions de France et d’Europe.
Cependant, les zones montagneuses plus inaccessibles, comme les gorges du Verdon et les massifs de l’Estérel, restent en grande partie boisées. Ces zones sont utilisées pour l’élevage extensif, mais la forêt méditerranéenne continue d’y jouer un rôle important, fournissant bois de chauffage et ressources forestières.
XIXe et début du XXe siècle : industrialisation et modernisation agricole
Le XIXe siècle marque l’ère de l’industrialisation dans le Var, avec la construction de chemins de fer qui facilitent le commerce agricole, notamment pour les exportations de vin et d’huile d’olive. Les vignobles de Côtes de Provence, particulièrement ceux de Pierrefeu et Cuers, gagnent en importance et en qualité.
La Crise du Phylloxéra :
Dans les années 1860, la région viticole est durement touchée par la crise du phylloxéra, un insecte qui ravage presque entièrement les vignobles du Var. Cette catastrophe entraîne l’abandon de nombreuses parcelles de vigne, notamment autour de La Garde-Freinet et de Vidauban, et favorise une avancée des forêts dans les zones les plus touchées. Certaines terres sont replantées avec des cépages résistants au phylloxéra à partir des années 1880, mais d’autres restent en friche, accélérant le reboisement naturel.
En parallèle, l’exode rural au début du XXe siècle vide les villages varois de leurs populations agricoles. De nombreuses terres cultivées sont abandonnées, en particulier dans le Haut-Var et le Centre Var. Les forêts regagnent du terrain dans des zones comme le Massif des Maures et le Plateau de Canjuers. Dans certaines parties du Var, l’État lance des programmes de reboisement, notamment avec des pins d’Alep, dans le but de lutter contre l’érosion des sols et de restaurer les paysages naturels.
XXe Siècle et aujourd’hui : entre agriculture moderne et reboisement
Le XXe siècle voit une modernisation progressive de l’agriculture varoise. La viticulture retrouve son dynamisme, en particulier avec la reconnaissance de l’AOC Côtes de Provence en 1977, qui valorise les terroirs de Toulon, Brignoles et Sainte-Maxime. Les domaines vinicoles, comme ceux de Château de Berne à Lorgues et Domaine Ott à Taradeau, deviennent des symboles du renouveau de la viticulture dans le Var.
Parallèlement, le déclin des petites exploitations agricoles et la montée du tourisme entraînent un nouveau reboisement massif. Aujourd’hui, environ 60 % du Var est couvert de forêts, soit bien plus qu’à l’époque romaine. Les forêts du Massif de l’Estérel, du Plateau de Canjuers, et du Massif des Maures sont des espaces naturels protégés, où chênes-lièges, pins parasols, et chênes verts dominent. Ces zones sont non seulement des havres de biodiversité, mais aussi des témoins de la résilience des paysages provençaux face aux cycles d’exploitation humaine et de régénération naturelle.
L’histoire de l’agriculture dans le Var est une chronique complexe de progrès techniques, de crises économiques et de transformations environnementales. De l’Empire romain à aujourd’hui, les cycles de défrichement et de reboisement ont façonné le paysage, créant un équilibre entre l’agriculture de qualité – notamment la viticulture et l’oléiculture – et une nature méditerranéenne foisonnante. À travers cette histoire, le Var a su préserver son caractère unique, où l’homme et la nature continuent de coexister dans une harmonie fragile.